Dissociation ou état hypnotique : qu’est-ce qui est important ?

Un certain nombre de questions agitent le petit monde de l’hypnose et de l’hypnothérapie en France et sans doute bien au-delà :

  • De quoi parle-t-on quand on parle de « dissociation » ?
  • Peut-il exister une hypnose sans dissociation ?
  • Qu’est-ce qui est réellement thérapeutique en hypnothérapie ?
  • Une transe hypnotique profonde est-elle « meilleure » qu’une transe légère ?

Bien sûr, je n’ai pas la prétention de donner une réponse définitive et acceptée par tous à ces questions, d’ailleurs il semble que ces questions ont aiguisé l’intérêt des hypnothérapeutes depuis bien longtemps.

 Définir la dissociation

Olivier Lockert donne une réponse assez synthétique des différentes formes de « dissociation » dans un article de son blog :

« On peut donc vivre 4 types d’expérience :

Hors hypnose

  1. Associé/Associé : Je peux être tout à fait conscient et vivre pleinement une expérience.
  2. Associé/Dissocié : Je peux être tout à fait conscient et vivre une situation avec détachement, avec du recul, en l’analysant mentalement, etc.

En hypnose

  1. Dissocié/Associé : Je peux être en transe hypnotique (conscient et inconscient séparés) et vivre pleinement une expérience, un souvenir, etc.
  2. Dissocié/Dissocié : Je peux être en transe hypnotique et vivre une situation avec détachement, avec du recul, en l’analysant mentalement, etc. »

Olivier Lockert, Hypnose & Dissociation
olivier-lockert.com
/2015/03/10/hypnose-dissociation/

Désagrégation

Or si l’on y regarde de plus près on s’aperçoit que les dissociations peuvent être encore plus complexes que ce résumé. Il suffit pour cela de lire Pierre Janet et si on le considère comme une source digne de confiance voici ce que ça donne :

Janet dissociations chez lucie « La vie consciente d’un de ces sujets, de Lucie par exemple, semble se composer de trois courants parallèles les uns sous les autres. Quand le sujet est réveillé, les trois courants existent : le premier est la conscience normale du sujet qui nous parle, les deux autres sont des groupes de sensations et d’actes plus ou moins associés entre eux, mais absolument ignorés par la personne qui nous parle. Quand le sujet est endormi en premier somnambulisme, le premier courant est interrompu et le second affleure, il se montre au grand jour et nous fait voir les souvenirs qu’il a acquis dans sa vie souterraine. Si nous passons au second somnambulisme, le second courant est interrompu à son tour, pour laisser subsister seul le troisième qui forme alors toute la vie consciente de l’individu, dans laquelle on ne voit plus ni anesthésies ni actes subconscients. Au réveil les courants supérieurs reparaissent en ordre inverse. »

 Pierre Janet, L’automatisme psychologique :
deuxième partie (1889).p 80

 

Précisons ici que le mot « désagrégation » est utilisé à l’époque par Pierre Janet et qu’il sera progressivement remplacé au siècle suivant par « dissociation ».

 « Il ne faut pas oublier d’ailleurs que nous ne parlons, dans ce chapitre, que des cas de désagrégation les plus simples, les plus théoriques en quelque sorte. Il est facile d’observer un très grand nombre de variétés et de complications dans lesquelles les deux personnages peuvent plus ou moins se connaître mutuellement et réagir l’un sur l’autre. Nous évitons d’entrer maintenant dans l’étude de ces complications. »

Pierre Janet, L’automatisme psychologique :
deuxième partie (1889). p 85

 Dissociation successive ou simultanée

Pierre Janet va encore plus loin que ce qu’il décrit ici puisqu’il fait la distinction entre « dissociation » séquentielle et « dissociation » simultanée. Autrement dit, certaines « personnalités » ou « parties » de la personne vont parfois cohabiter simultanément tandis que d’autres vont cohabiter successivement.

« Ces relations entre les existences subconscientes et simultanées d’une part, et les divers somnambulismes successifs d’autre part, sont évidemment compliquées et peut-être, malgré tous mes efforts, difficiles à comprendre. »

Pierre Janet, L’automatisme psychologique :
deuxième partie (1889).p 80

Il continue à développer ce sujet des dissociations simultanées et successives pour finir par en conclure à la multiplicité des personnalité chez tout un chacun. Pierre Janet nous donne à penser à une conscience fluctuante dans laquelle diverses existences cohabitent avec plus ou moins d’harmonie de manière totalement impermanente et variable selon les situations.

 « En laissant de côté ces problèmes dont la solution est encore douteuse, nous pouvons conclure par cette remarque. La désagrégation psychologique donne naissance à des groupes de pensées inégaux dont l’importance relative varie sans cesse. L’état de veille parfaite et l’état de somnambulisme complet sont deux extrêmes : entre eux se trouvent bien des degrés dans lesquels les diverses existences coexistent avec des proportions changeantes. »

Pierre Janet, L’automatisme psychologique :
deuxième partie (1889). p 87

Cela n’a pas échappé aux plus perspicaces des hypnothérapeutes contemporains et je dois dire que Daniel Goldschmidt a écrit à ce sujet un commentaire qui résume parfaitement l’affaire et qui introduit de plus la notion de profondeur de la transe hypnotique.

dissociation : l'unicité de l'esprit est un leurre psycho-social

Daniel Goldschmidt Commentaire Facebook

 Le cas de Jean-François

Alors laissez-moi vous raconter une petite histoire tout à fait personnelle. Après 20 ans de collaboration professionnelle avec Elisabeth qui fut aussi mon épouse, son décès me laissa quelque peu désemparé et me conduisit à abandonner toute activité thérapeutique pendant presque 2 ans.

Puis ayant décidé de m’y remettre, je reçus Jean-François dans un séjour de psychothérapie intensive sur les addictions. Il arriva le premier jour avec à la main, une énorme bouteille (4,5 litres) d’un apéritif anisé de couleur jaune dont je tairai le nom.

Il me dit :

«  Bonjour, voilà,, c’est un cadeau pour vous, elle est vide ! Je l’ai terminée il y a 3 jours !

Moi : – Merci, mais vous auriez pu m’en laisser un peu ! »

Voilà une entrée en matière en fanfare qui me l’a rendu assez sympathique et j’ai accepté le trophée de bonne grâce, pensant bien évidemment qu’il pourrait me resservir un jour – même vide !

Bien sûr, nous sommes entrés dans le vif du sujet il s’averra assez vite qu’il avait d’autres demandes à me soumettre :

  • Il voulait mettre fin à des crises de boulimie
  • Il voulait mettre fin à une relation affective toxique pour lui car, il se considérait comme dépendant affectif

 Enfin des dissociations !

Inutile de vous dire qu’en mon fort intérieur je me suis dit quelque chose comme : « Mer… c’est bien ma veine, moi qui voulait recommencer en douceur, me voilà avec la totale ! ». Assez vite, je me suis intéressé à son cas et mon sentiment s’est transformé en « Bon ça va être sportif mais on va pouvoir s’amuser un peu ! »

Considérons maintenant le cas de Jean-François sous l’angle des dissociations. En première intention, on peut vite comprendre qu’il a les tendances suivantes :

  • Une partie alcoolique
  • Une partie boulimique
  • Une partie dépendante affective

Considérons maintenant qu’il consomme trop d’alcool et voudrait s’en empêcher et vient consulter : il manifeste ainsi une nouvelle « dissociation » :

  • Une partie alcoolique
  • Une partie sobre

Vous conviendrez facilement que l’on se retrouve au final devant la configuration suivante :

  • Une partie alcoolique
  • Une partie sobre
  • Une partie boulimique
  • Une partie « anorexique »
  • Une partie dépendante affective
  • Une partie « distante »

Ca commence à faire du monde et ça donne du crédit à ce que disait Janet plus haut : …entre eux se trouvent bien des degrés dans lesquels les diverses existences coexistent avec des proportions changeantes…

Si l’on considère toutes les « dissociations » possibles ça devient vraiment compliqué :

  • Alcoolique/sobre
  • Alcoolique/boulimique
  • Alcoolique/anorexique
  • Alcoolique/dépendant affectif
  • Alcoolique/distant
  • Sobre/boulimique
  • Etc

Vous devez commencer à vous demander comment j’ai pu me sortir de cette situation. Et vous, qu’auriez-vous fait ? Inutile de chercher un script… je ne pense pas qu’il en existe !

Hé bien non, je n’ai pas fait une induction « associante » pour toutes ces parties, j’ai au contraire accentué la dissociation au maximum de façon conversationnelle afin de permettre à chacune de ces parties de pouvoir se manifester dans toute son originalité et dans les fonctions vitales que chacune d’elle assure pour la personne.

Dissociation profonde ou hypnose profonde ?

Si vous examinez attentivement les dissociations de Jean-François vous allez vous apercevoir qu’elles sont de différentes natures :

  • Polaires et successives (ou séquentielles) dans les cas alcoolique/sobre, boulimique/ »anorexique », dépendant affectif/ »distant »
  • Sans rapport direct dans les cas alcoolique/ »anorexique », boulimique/sobre, etc
  • Incidentes et simultanées (potentiellement) dans les cas sobre/anorexique, sobre/dépendant affectif, etc

Les vérifications intéressantes à faire sont justement de déterminer quelles parties peuvent être présentes simultanément : cela conduit à pouvoir dessiner ou se représenter une « carte » des parties et des dissociations.

Ensuite, en ce qui concerne l’intensité des dissociations, vous remarquerez que les dissociations séquentielles ou successives sont plus intenses que les dissociations simultanées. Dans l’ordre du plus intense vers le moins intense on pourrait avoir par exemple :

  1. alcoolique/ »anorexique »
  2. boulimique/sobre
  3. anorexique/boulimique
  4. sobre/alcoolique
  5. etc…

L’astuce ici consiste à vous faciliter le travail et à commencer par réduire les dissociations les moins intenses et garder les plus intenses pour la fin. Dans le cas de Jean-François cela a consisté à réduire et à solutionner les dissociations les plus faibles pour obtenir à la fin le schéma suivant :

  • Une personnalité dépendante comprenant l’alcoolique, le boulimique et le dépendant affectif
  • Une personnalité « contrôlante » comprenant le sobre, l’anorexique et le « distant »

Et alors le gros du travail a consisté à mettre en scène ces deux personnages et à réduire puis faire disparaître leur dissociation.

Je ne vais pas détailler ici 24 heures de thérapie, car, c’est le temps qu’il a fallu pour recombiner tous ces personnages de façon à n’en faire plus qu’un, homogène et représentant la totalité de la personne de Jean-François. Ce travail s’est fait par des transes hypnotiques fractionnées de quelques minutes ou quelques dizaines de secondes sans pour autant entrer dans des expériences de somnambulisme.

Plutôt que de rechercher des transes « associantes » le coeur de ce travail consiste au contraire à rendre les dissociations présentes à la conscience de la personne autrement dit à créer une nouvelle dissociation avec un personnage témoin, observateur des dissociations présentes et personnage central au sein duquel viennent se réduire et s’intégrer tous les autres personnages.

Vers une Thérapie des Etats Dissociés.

C’est une manière de faire dont les premiers développements ont commencé en 1991 avec Michel Facon et mon épouse d’alors Elisabeth Frit, hélas tous deux décédés depuis.

Quand j’examine cette manière de procéder, il me vient l’hypothèse que la nature et l’intensité de la dissociation sont plus importantes que les phénomènes hypnotiques provoqués pour accompagner la personne vers la résolution de ses problèmes existentiels.

J’ai bien essayé d’accélérer la résolution des différentes dissociations par des transes hypnotiques spécifiques. Même si les dissociations ont semblé se dissoudre pendant un temps, chaque tentative de « forcer »  l’évolution du cas s’est toujours soldée par un retour en arrière. Comme si la vitesse du processus était déterminée par « on ne sait quoi » et qu’il fallait laisser le temps, aux différentes parties de choisir leur vitesse de réintégration.

Que pensez-vous de cela ?

Aujourd’hui, c’est en passe de devenir une pratique thérapeutique spécifique que j’appelle Thérapie des États Dissociés. Cette approche a pour caractéristiques de pouvoir être ouverte à pratiquement toutes les méthodes de psychothérapie, pour peu que la « dissociation » ou « désagrégation » chère à Janet soit mise au centre du travail thérapeutique. Par elles-mêmes, les dissociations induisent des états hypnotiques fractionnés sans qu’il ne soit nécessaire de procéder à des mises en transe spécifiques.

Il est donc assez facile d’imaginer que des professionnels de différents horizons puissent s’approprier la méthode assez facilement. Ainsi, il me semble assez simple de pouvoir utiliser :

  • Toutes les formes d’hypnose
  • La PNL
  • La Gestalt-Thérapie
  • La Sophrologie
  • L’EFT
  • L’EMDR
  • Etc

Bien évidemment, si le cas de Jean-François illustre parfaitement les conclusions de Pierre Janet sur la multiplicité des existences qu’elles soient simultanées ou successives, il n’est pas fréquent de rencontrer des systèmes de dissociation aussi complexes, ni de pouvoir les mettre en évidence aussi facilement.

Le principal obstacle est bien souvent la honte du sujet à devoir avouer  son absence de maitrise sur sa vie et sur ses états de conscience. Alors, même si une mise en transe pourrait permettre d’explorer le niveau de dissociation d’une personne quasiment à son insu, je ne suis pas persuadé que cela soit une solution éthiquement acceptable, ni forcément très efficace. En admettant qu’il soit possible de provoquer une réorganisation de ces existences, comment éthiquement choisir autour de quelle existence ou identité les réagréger pour constituer une nouvelle personnalité plus harmonieuse et équilibré.

C’est pour cela que dans la pratique de la Thérapie des Etats Dissociés, il m’a semblé important de rester dans un système de transes fractionnées. Ainsi, il est plus commode de veiller à toujours ramener les informations et les résultats des interactions subconscientes à la conscience ordinaire et quotidienne de la personne. De cette manière, en plus d’obtenir un soulagement de ses troubles, la personne acquiert une connaissance intime des dynamiques psychologiques à l’oeuvre dans son esprit.

Même si cette pratique existe et évolue depuis plus de 20 ans sous cette forme, il n’est pas toujours facile de la décrire et de l’exposer clairement. C’est pourquoi, je sollicite le lecteur pour commenter et pour poser toutes les questions qui pourraient permettre d’éclaircir le sujet.

One Response to Dissociation ou état hypnotique : qu’est-ce qui est important ?

  1. Dagouret Annie 4 juin 2016 at 10 h 49 min #

    Oulala ! Je me souviens de cette  » bouteille vide super VOLUMINEUSE  » je ne pensais pas qu’elle était à l’origine d’autant de travail ! Quelle superbe victoire ! C’est déjà assez compliquée avec une, ou deux parties, mais avec toutes les siennes, c’étaient un travail de titan, et il fallait savoir comment procéder et par quoi commencer. Mon cerveau aurait explosé ! Bravo pour ce gros travail suivi de cette réussite et merci pour ton exposé très riche !
    Annie.