Métaphysique de la Qualité : Présentation rapide par Robert PIRSIG

La Métaphysique de la Qualité est une réponse philosophique à la question : «Qu’est ce que la Qualité, la valeur, le mérite, le mieux ou tout autre synonyme du bien»

La Métaphysique de la Qualité (MQ ou MOQ en anglais) est tout simplement une réponse philosophique à la question : «Qu’est ce que la Qualité, la valeur, le mérite, le mieux ou tout autre synonyme du bien». De nombreuses réponses sont possibles mais celle que donne la MQ est qu’il est plus facile de comprendre la Qualité si vous ne la faites  dépendre de rien d’autre mais plutôt si vous faites tout dépendre d’elle.

Robert Pirsig présente la Métaphysique de la Qualité.

Deux sortes de Qualité

Il y a donc deux sortes de Qualité, une qualité indéfinie, la «Qualité Dynamique» et une qualité définie, la «qualité statique». La qualité statique est elle même subdivisée en quatre catégories correspondant aux quatre phases de l’évolution : inorganique, biologique, sociale et intellectuelle. L’intégralité de notre compréhension du monde peut s’organiser autour de ce schéma.

Quand vous organisez les choses de cette manière, bien des concepts, des idées, des éléments mal définis auparavant trouvent leur place tandis que de nouveaux concepts, idées et éléments émergent alors qu’ils étaient ignorés dans d’autres schémas de compréhension. La MQ ne renie aucun autre mode antérieur de compréhension mais vise plutôt à les étendre et à les inclure dans une représentation plus globale.

La «Qualité» de la Métaphysique de la Qualité n’a aucune existence en tant que substance, ni à quoi que ce soit qui puisse y ressembler. Les Bouddhistes l’appellent «vacuité» justement pour éviter toute définition intellectuelle. Si vous tentez de définir la Qualité comme une substance, vous êtes dans une voie qui n’a rien à voir avec la MQ.

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J’identifie la Qualité au Tao ou à la Nature de Bouddha

Sur ce point précis, je ne suis pas très original, mis à part quand j’identifie la Qualité au Tao ou à la Nature de Bouddha (d’où le titre de mon livre «Le Traité du Zen et de l’entretien des motocyclettes»). La masse de textes existant sur le Tao ou la Nature de Bouddha déborderait de n’importe quelle bibliothèque pourtant dans les deux cas le composant essentiel de l’univers est la vacuité, non pas un espace vide mais la «vacuité». Il est quelque peu incorrect de nommer «vacuité» un constituant de base qui n’est pas vraiment cela (ni même ceci) mais une philosophie du quotidien du «doigt-qui-pointe-vers-la-lune», un discours qui se rapporte au beau, au bon et au bien et aux moyen de les obtenir. Il est donc particulièrement incorrect de le considérer comme une substance dans le sens où ce terme est employé de nos jours.

Beaucoup plus important, la Qualité Dynamique et la qualité statique sont toutes deux absolument essentielles même si elles sont en conflit. Comme je l’ai écrit dans «LILA», sans la Qualité Dynamique, un organisme ne peut pas se développer. Mais sans la qualité statique, il ne peut pas survivre. Les libéraux et les radicaux Dynamiques ont besoin des conservateurs statiques pour les empêcher de désorganiser le monde avec des changements inutiles. Les conservateurs statiques ont eux aussi besoin des libéraux et des radicaux Dynamiques pour les empêcher de désorganiser le monde par une stagnation inappropriée. Ceci est aussi vrai pour la philosophie. Mon sentiment est que la manière d’interpréter le monde en sujet/objet est une stagnation inadaptée à notre époque ; mais sans cette base de la compréhension sujet/objet sur laquelle s’est appuyée la Métaphysique de la Qualité, celle-ci n’aurait, par elle même, aucune valeur.

La Métaphysique de la Qualité …

est elle aussi statique et doit donc être différenciée de la Qualité Dynamique qu’elle décrit. Comme toutes les autres traditions philosophiques connues, la MQ ne change pas tous les jours même si le monde qu’elle décrit, est, lui, en perpétuel changement. En utilisant une métaphore orientale bien connue, elle n’est qu’un autre «doigt qui pointe vers la lune». Le discours statique de la MQ n’arrivera jamais à capturer la Qualité Dynamique du monde, mais voilà, certains doigts sont pointés de manière plus précise ! Les vieux indicateurs et les vieilles cartes routières ont perdu de leur valeur. L’orthodoxie religieuse ne fait plus référence qu’à d’anciens concepts dépassés. La science classique est maintenant une carte ancienne et la science moderne tente d’en établir de nouvelles. C’est la recherche de nouveaux indicateurs qui est l’essence de la philosophie Dynamique et non pas les indicateurs eux-mêmes. Ce que je veux exprimer par philosophie Dynamique est mieux expliqué dans mon introduction au livre LILA’s child*. (voir extrait en fin d’article)

Campement lors du voyage à travers les USA.La MQ n’est pas destinée à se rattacher à un courant philosophique particulier, même si elle n’est pas née de rien. Ma première prise de conscience qu’elle ressemblait au travail de William James est venu de la lecture d’un magazine bien longtemps après la parution de mon livre «Le Traité du Zen et de l’entretien des motocyclettes». L’idée centrale de la MQ, que le monde n’est rien d’autre que de la valeur, n’existe dans aucun autre courant philosophique dont j’ai eu à connaître l’existence. J’ai fait cette proposition parce qu’il me semble que lorsqu’on y regarde attentivement, cela a plus de sens que quoi que ce soit d’autre qui puisse constituer le monde. Une des forces de la MQ c’est sa capacité à pouvoir s’appliquer à la Physique Quantique dans laquelle toute substance a disparu pour être remplacée par d’obscures formules mathématiques.

Pendant mon élaboration de la MQ j’ai fait de longues recherches dans une encyclopédie de la philosophie pour vérifier si la MQ n’avait pas déjà été formulée par quelqu’un d’autre. Et c’est ce que j’ai écrit dans «Le Traité du Zen et de l’entretien des motocyclettes». Aucun des philosophes européen n’a jamais rien formulé de semblable. Ceux qui s’en sont le plus approché sont Plotin, Lao Tseu et le professeur Northrop de l’Université de Yale. Ces similarités ont été identifiées à plusieurs reprises.

La Qualité est-elle dans le sujet ou dans l’objet ?

Si vous suivez le développement de la MQ comme je l’ai décrit dans «Le Traité du Zen et de l’entretien des motocyclettes» vous noterez qu’il n’a pas commencé avec la question «Quelle est la meilleure alternative à la métaphysique sujet/objet ?» mais avec la question «Qu’est ce que la Qualité ?». Une autre question s’est alors posée : «La Qualité est-elle dans le sujet ou dans l’objet ?» et la réponse fût : «Aucun des deux, elle est indépendante des deux et elle en est la source !». Avec cette réponse, il n’y avait plus besoin d’aller chercher une autre alternative à la distinction sujet/objet puisque celle-ci n’a jamais été la question première. En fait la MQ inclut la distinction sujet/objet comme un élément secondaire de sa propre structure.

Utiliser comme point de départ du raisonnement, l’idée de pouvoir parvenir à déterminer au final quelles sont les bonnes questions à poser revient à «rester collé au sujet» de la dialectique sujet/objet. La question ultime ou l’alternative ultime ne sont jamais découvertes. Il y en a toujours une nouvelle et on peut continuer à chercher sans fin. Même s’il était possible de toutes les identifier, il faudrait plus d’un livre entier pour en faire la liste. Le site web moq.org a été plutôt exhaustif dans la recherche de ces questions. Et quiconque a une nouvelle question ou une autre alternative est ardemment inviter à les poster sur ce site.

J’ai aussi une préoccupation plus personnelle. C’est le fait que les philosophes , plutôt que d’étudier attentivement une nouvelle philosophie, se contentent trop souvent de la disqualifier en disant «Oh, il dit la même chose que quelqu’un autre» ou «Quelqu’un a déjà exprimé ceci bien mieux». C’est la deuxième moitié de l’argument conservateur classique qu’une nouvelle idée (a) n’est pas bonne parce que personne n’a encore jamais rien dit de pareil (b) ce n’est pas bon parce que cela a déjà été dit. Si, il a été noté par R.C. Zaehner, ancien professeur d’Ethique et Religions Orientales à Oxford que je dis la même chose qu’Aristote; et s’il a été noté dans la Harvard Educationnal Review que je dis la même chose que William James; et qu’on a remarqué que je dis presque la même chose que Spinoza : alors comment se fait-il que personne n’ait remarqué jusqu’à ce jour que Aristote, Spinoza et William James disaient tous les trois la même chose. Cette sorte de commentaire existe aussi dans la critique littéraire quand plusieurs auteurs sont comparés les uns aux autres sans aucune tentative sérieuse de mettre en évidence ce que chacun d’entre eux a d’original. Aussi, si Hemingway écrit que la mort est une chose tragique, alors Hemingway écrit la même chose que Shakespeare ! Quelle découverte ! Et comme Shakespeare l’a beaucoup mieux écrit, alors à quoi bon lire Hemingway ?

L’écrivain est un créateur tandis que le critique est un juge.

Cet antagonisme entre écrivains et critiques va clarifier le sujet. L’écrivain est un créateur tandis que le critique est un juge. Les critiques, en principe, ne prétendent pas être des écrivains lorsqu’ils jugent un livre; par contre les philosophologues eux, ont la prétention de se dire philosophes lorsqu’ils jugent la philosophie de quelqu’un d’autre. Les bons critiques littéraires savent bien qu’un écrivain doit travailler seul et doit s’abstenir de faire lire son manuscrit à tout le monde car son inspiration n’a rien à voir avec ce que les autres ont déjà écrit. Il doit bien au contraire, être à la recherche de ce que jamais personne n’a encore trouvé. Les philosophologistes se croient être philosophes, c’est pourquoi ils ne peuvent pas comprendre qu’un véritable philosophe ne fera pas la même chose qu’eux ni qu’il ne doit justement pas faire la même chose s’il veut élaborer une philosophie originale et non pas se contenter de répéter et de disséquer encore et encore les mêmes vieilles idées comme c’est trop souvent le cas.

Alors que «Le Traité du Zen et de l’entretien des motocyclettes» est le squelette d’une philosophie à l’intérieur d’un roman abouti, «LILA» est le squelette d’un roman à l’intérieur d’une philosophie aboutie. Comme il y a beaucoup plus de lecteurs de romans que de lecteurs de philosophie, ceci explique le moindre succès de «LILA». Pourtant ce livre est resté six semaines dans la liste des best-sellers du New-York Times, il a été commenté dans le New-York Times, le Washington Post et d’autres journaux et il a été vendu à six cent mille exemplaires. Il est donc difficile de dire que «LILA» a été un échec, d’autant plus qu’il s’agit d’un ouvrage de philosophie.

Cependant, je suis encore préoccupé par le fait que «LILA» n’a pas eu le succès escompté après des philosophes universitaires. A mon avis c’est un livre bien plus important que «Le Traité du Zen et de l’entretien des motocyclettes». J’ai le sentiment de tenter de vendre des billets de 5 dollars au prix de 2 dollars pièce et d’avoir du mal à trouver des clients. Bien des lecteurs de «LILA» sont un peu méfiants car ils ne sont pas familiers avec l’idée de la MQ mais je pense que s’ils comprenaient vraiment ce qui est proposé, ils changeraient d’état d’esprit.

Robert PIRSIG.
Octobre 2005. (traduction Bernard Frit juillet 2013)

(*) J’utilise tout le temps ce terme de philosophologie pour mettre en évidence un point que les philosophes universitaires laissent de côté : quand ils nous parlent des idées de Platon ou de Hegel, ils nous offrent une histoire de la philosophie, une «ologie» de la philosophie et non pas de la philosophie. La philosophie, c’est l’opinion de celui qui nous parle de la nature générale du monde et non pas la classification des opinions des autres.

Cela peut sembler un point mineur, mais je me rappelle, il y a bien des années, avoir entendu l’indignation de Jerry Liebling, professeur d’Arts Plastiques, lorsqu’un historien de l’art avait dit à un de ses étudiants qu’il pouvait arrêter de peindre car il était évident qu’il n’arriverait jamais à égaler les grands maîtres. A ce moment-là, je ne comprenais pas pourquoi Liebling était à ce point en colère, mais avec les années, j’ai fini par comprendre. Liebling déplorait cette attitude des historiens de l’art car, alors qu’ils pensaient préserver les standards de l’Art, ils étaient en fait en train de le détruire. L’Art n’est pas seulement l’accomplissement statique des maîtres du passé. L’Art c’est la Qualité Dynamique créatrice des artistes du présent. Pas plus que la philosophie ne serait que l’accomplissement statique des maîtres du passé. La philosophie est la Qualité Dynamique créatrice des philosophes du présent.

Il y a des similitudes avec le jeu d’échecs. la philosophie et les échecs sont tous deux des exercices intellectuels lors desquels on tente de manipuler des symboles pour améliorer une situation et ce, avec des règles précises. Aux échecs, on peut grandement tirer profit de l’étude du jeu des maîtres. En philosophie, on peut aussi bénéficier de l’étude des textes des grands philosophes. Mais le plus important ici, c’est qu’étudier les maîtres d’échecs n’est pas jouer aux échecs, pas plus qu’étudier les maîtres de la philosophie, n’est faire de la philosophie.

Jouer aux échecs c’est faire une partie avec votre voisin. Jouer aux échecs c’est se «débrouiller». Une partie d’échecs, c’est le triomphe de l’organisation de l’esprit sur des situations complexes. Il en est de même pour la philosophie.  

Voir aussi :

Un livre, LILA, un auteur, Robert PIRSIG.

Le texte original.

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